
le 24 novembre 2022.
-- écrit par Christian Somakpo, Program Officer au Bénin sous le programme d'Act | West
Le titre de Maman locotoro, qui signifie « maman docteur » en langues locales Dendi et Bariba, décrit parfaitement cette charmante dame. Elle possède une l’allure soignée et un regard aussi pétillant que bienveillant, qui génère un sentiment de sécurité totale chez tous ses bénéficiaires.
Du haut de ces 74 ans, Mme Denise KPONTON née à Cotonou en 1948 vit à Parakou (Nord Bénin), au quartier Banikanni. Greffière d’instruction à la retraite depuis environ 23 ans, elle est relais communautaire et secrétaire du Comité de Gestion du Centre de Santé (GOGECS) de Banikanni depuis plus de 13 ans. Elle a donné un coup de main pendant la campagne de distribution de l’Ivermectine digitalisée en novembre 2022 supportée par le programme Act|West. Avec son équipier, elle parcourra les quatre secteurs les plus peuplés de ce vaste quartier de ville Banikanni. Sur son circuit de distribution elle ne laissera pas uniquement des comprimés d’Ivermectine mais aussi une bonne dose d’empathie et d’humour.

« Soulager les gens de leurs souffrances est l’une des valeurs qui m’ont été inculqué depuis ma tendre enfance, » affirme Maman Locotoro. Sa précocité dans l’engagement volontaire au sein du mouvement de jeunesse catholique « Ames vaillantes » alors qu’elle était au collège à Yaoundé a forgé très tôt sa volonté de toujours porter assistante à toute « situation humaine dans le besoin ». Elle aura raté de peu sa vocation de devenir agent de santé mais épousera finalement un Médecin ophtalmologue qui jusqu’à sa disparition lui inculquera l’importance de la vue pour l’homme. C’est donc avec fierté qu’elle contribue à présent à lutter contre l’onchocercose encore appelée cécité des rivières. « C’est un devoir pour moi de poursuivre avec l’œuvre de mon défunt époux, c’est un héritage de cœur, » dit-elle avec nostalgie.
La vie de cette septuagénaire mère de neuf enfants et Grand-Mère de 42 petits fils et filles est différente à bien d’égards de celle de la plupart de ses paires du même quartier depuis qu’elle a décidé de s’engager à sauver la vie des femmes et enfants de sa communauté à travers le volontariat communautaire. En tant que membre du bureau du Comité de Gestion du Centre de Santé de Banikanni son travail consiste à promouvoir la pleine participation des communautés aux activités du centre de santé et œuvrer à ce que les conditions d’accessibilité aux soins de qualité soient pleinement remplies.
Cette mission est facilitée par sa quasi permanente présence au sein de la communauté à la faveur de ses responsabilités en qualité de relais communautaire.
« Je suis amenée à faire le tour des différents ménages de mon quartier pour m’enquérir de l’état de santé de ma communauté, » dit Mme Kponton. « Si je remarque des situations inhabituelles concernant l’état de santé des enfants, des femmes ou des hommes je remonte l’information à l’agent de santé et je rappelle aussi aux femmes de suivre correctement le calendrier vaccinal de leur enfant. Ceci me permet de faire leur suivi et surtout de réduire le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans, dûe aux principales maladies, à savoir le paludisme, la diarrhée et la pneumonie. Il faut souligner que je suis beaucoup plus spécialisée dans les SONU Communautaires et la Prise en charge communautaire des malnutris. Je participe également à toutes les campagnes de vaccination ou de distribution gratuite de médicaments dont la présente distribution d’Ivermectine ».

C’est ainsi que pendant les dix jours qu’aura duré cette présente campagne elle va parcourir avec son équipier en moyenne huit kilomètres par jour à éloigner l’ombre de l’onchocercose qui plane sur les ménages de sa communauté selon ses propres termes.
A la question d'où tire-t-elle encore cette solidité physique à son âge, Maman Locotoro répond, « Je crois que je tiens cette force de ma mère qui vit toujours. Elle est âgée de 99 ans et jouit d’une bonne santé. Mais il ne s’agit pas seulement d’une force physique mais elle est surtout mentale et morale. C’est un état d’esprit ! et c’est ce que je m’efforce à mon tour de transmettre à ma progéniture et aussi à tous mes compagnons de travail relais communautaires que je considère comme mes enfants et d’ailleurs ils m’appellent tous affectueusement « yayi » ce qui en langue dendi veut dire « mémé ».
Sur le sujet du rôle joué par Mme Kponton auprès du Centre de Santé, elle a été décrite comme une personne disponible et très engagée sur les questions d’accès aux soins.
« Madame Denise, en plus d’être un pilier pour sa communauté, est l’âme du Centre de Santé, » ajoute la responsable du Centre de santé de Banikanni. « C’est notre porte bonheur, elle est toujours disponible à aider et surtout quand survient une tension et les protagonistes voient sa silhouette surgir au loin, le calme revient et le sourire apparait sur les visages pour l’accueillir car tout le monde sait ici qu’elle n’aime pas les disputes, elle est profondément diplomate, c’est une personne de consensus. »
Auprès de ses bénéficiaires, un autre surnom est attribué à Mme Kponton : c’est maman bonne humeur. Ceci n’est guère surprenant quand c’est révélé que son fils ainé, mieux connu sous le nom d’artiste « Masta Cool » est un célèbre humoriste connu pour son art au-delà de nos frontières. Il s’agit bien là d’un talent familial qui se révèle être un atout majeur pour maman locotoro dans l’exercice de sa fonction de distributrice communautaire car aucun refus ne tient devant cette femme à l’éloquence hors pair qui en plus du français s’exprime avec aisance dans sept langues locales du pays.
Avant de sortir de chez elle pour la distribution ou toute autre activité communautaire, maman bonne humeur a l’habitude de laisser toutes ses préoccupations personnelles devant le seuil de sa maison avant d’aller à la rencontre des gens.
« Il est très important d’avoir le sourire aux lèvres quand vous franchissez la porte d’un ménage qui ne vous a pas invité chez lui, » confie Mme Kponton avec grande conviction. « Les gens ont leurs propres préoccupations qui les amènent peut-être à être de mauvaise humeur. Alors si vous venez ajouter la vôtre alors que vous êtes censés contribuer à améliorer leurs conditions de vie par le biais du message dont vous êtes porteur, votre objectif ne sera pas atteint. »
C’est sans aucun doute, grâce à cette convivialité qu’elle a réussi à ramener Madame Jacqueline souffrant de lymphœdème, de la pénombre de sa chambre vers la lumière du jour.

« J’ai rencontré Jacqueline lors de la campagne de distribution de l’année passée. Elle était seule à la maison quand nous avons rendu visite au ménage. J’ai tout de suite remarqué qu’elle ne voulait pas sortir de sa chambre et désirait qu’on lui apporte son traitement à l’intérieur comme si elle se cachait de la lumière du jour. Après avoir engagé une discussion amicale avec elle, j’ai su qu’elle cachait un pied éléphantiasique dont elle est porteuse depuis plus de 10ans. Plusieurs rencontres ultérieures m’ont permis de me rendre compte à quel point ce handicap causée par une maladie tropicale négligée lui a imposé une vie sociale désastreuse, » raconte Mme Kponton.
« Après l’avoir référé chez la responsable du CS ou le diagnostic de lymphœdème a été formellement posé, je me suis engagée à la soutenir non seulement pour la prévention des épisodes douloureuses mais également sur le plan moral et psychologique, » explique-t-elle. « Je suis fière aujourd’hui de la voir toute décomplexée et épanouie. Celle qui auparavant limitait ses sorties au strict minimum à cause du regard des autres, est aujourd’hui appelée à faire plusieurs allers-retours entre sa maison et le collège de son quartier où elle est employée à la cantine. Je l’appelle désormais « la reine de lumière » car avec courage elle a réussi à passer de la pénombre à la lumière en gagnant son combat contre la stigmatisation et c’est une joie immense pour moi de l’y avoir aidé. Cette joie que je ressens à aider les autres à se sentir mieux est le carburant de mon existence ». Ce témoignage souligne l’importance du travail de Mme Kponton et, bien, des relais communautaires qui aident les malades à recommencer leurs vies.
Madame Denise Kponton, maman locotoro, maman bonne humeur quel que soit le nom choisi, a donné plus de la moitié de sa retraite au volontariat communautaire et elle n’est pas près de s’arrêter. Des femmes leaders inspirantes comme elle, avec comme seule motivation : le bien être des autres, il n’y en a peut-être plus assez. Cette brave et vaillante combattante des inégalités, du code pénal à son sac de relais a gardé ses valeurs d’entraide et de solidarité intactes. La greffière d’instruction a laissé place à une relais communautaire au parcours exceptionnel.