
-- écrit par Christian Somakpo, Program Officer au Bénin sous le programme d'Act | West; modifié par Zubin Hill
« Je me sens comme un oiseau solitaire sans aucun refuge sous une pluie sans fin, » déclare Adamou Tabe, les yeux remplis de larmes. « Oui, jour après jour mon nom est utilisé dans le quartier comme une malédiction. »
Tabe, âgé de 30 ans, est un jeune de la commune de N’dali, ville du nord Bénin situé à environ 60 km de Parakou. Né en 1993 de parents cultivateurs aux revenues faibles, il est benjamin d’une fratrie de sept enfants. Il démarre tout normalement son cursus scolaire et obtient avec brio son Certificat d’Etudes Primaire (CEP) en 2006. Mais pendant qu’il est en classe de 6ème et âgé de 14 ans, sa vie a basculé à jamais. Un matin, à son réveil, il a constaté que son pied droit s’était légèrement enflé. Les jours qui ont suivi, petit à petit l’inflammation s’est étendue des orteils à la jambe.
« Au tout début c’est juste une petite enflure, mais ça s’est aggravée et s’est étendue jusqu’à ma jambe avec des abcès qui laissaient place à des plaies suppurantes. » affirme-t-il.
Très tôt, Tabe s’est retrouvé mis à l’écart et rejeté par ses camarades de classe qui ne voulaient plus de sa compagnie en raison de ses plaies au pied qui ne guérissaient pas. Il était contraint à une vie de solitude la plupart du temps, relégué dans un coin de la salle. Durant la pause récréative, il observait avec envie ses camarades qui s’adonnaient joyeusement à divers jeux, surtout le football dont il raffole toujours d’ailleurs. (Lors de son interview il portait le maillot de l’équipe nationale de football).
Jour après jour, son pied grossissait, le forçant à un changement de démarche. Très vite, Tabe est devenu le sujet préféré de toutes les conversations dès qu’il fait son apparition au portail de l’école. Ne supportant plus le regard stigmatisant et les propos moqueurs de ses pairs qui l’ont surnommé « Adamou gros pieds, » Tabe a abandonné l’école quand il avait 14 ans.
« Ce fut une décision très douloureuse pour moi, car j’ai toujours rêvé faire de grandes études, devenir docteur et faire la fierté de ma famille, en plus j’étais bon élève, » dit-il, toujours en larmes.

Déscolarisé, il s’est efforcé sans succès d’apprendre un métier tandis qu’en quête de guérison pour le mal qui affectait leur fils, ses parents investissaient le peu de moyens dont ils disposaient dans divers traitements. Au lieu d’un soulagement, le pied gauche à son tour commença à enfler en 2013. Alors, âgé de 20 ans, Adamou éprouvait de plus en plus de difficulté à se déplacer et constituait une charge pour ses proches.
« Je me sentais maudit et en voulais au monde entier, ne cessant de me demander ce que j’ai bien pu faire pour mériter un tel sort, » se souvient Tabe. « J’étais vraiment désespéré et triste à longueur de journée ».
Bien que, dans la foulée, le diagnostic de pied éléphantiasique ait été évoqué lors d’une visite dans un centre de santé de la ville voisine de Bembèrèkè, certains proches ont réussi à convaincre les parents du jeune Tabe que sa maladie est définitivement d’origine surnaturelle et des sacrifices étaient nécessaires pour conjurer le mauvais sort. Alors, Adamou était trainé de tradi-thérapeute en tradi-thérapeute à la recherche d’un remède.
« J’étais contraint de subir des rituels éprouvants de jour comme de nuit, de frotter des potions magiques sur les pieds qui, au lieu de me guérir, favorisaient la surinfection avec de fréquentes crises douloureuses insupportables, » dit Tabe.
Toutes les souffrances qu’il endurait l’ont poussé à devenir très réticent envers les soins de la médecine traditionnelle. Ceci n’a pas plu à ses parents qui se sont progressivement désengagé vis-à-vis de lui, fustigeant une ingratitude et un manque de volonté de sa part. Désormais tout seul, sans aucun soutien, Tabe a dû faire recours à plusieurs reprises à la mendicité auprès de personnes de bonne volonté.
En 2018, quand Tabe avait 25 ans, le mal s’est propagé à son scrotum (affection communément appelée au Bénin : « grosse bourse »). Fort heureusement, ayant appris en début 2019 qu’une mission chirurgicale devait opérer gratuitement les « grosses bourses » au sein de l’Hôpital de référence Saint Jean de Dieu de Tanguiéta (ville située au Nord Bénin dans le département de l’Atacora à plus de 250 Km de N’dali), Tabe a tout fait pour être présent. L’opération fut une réussite, ce qui a fait renaitre en lui une vague d’espoir d’autant plus que l’équipe lui a promis revenir en 2020 avec un spécialiste qui pourrait tenter quelque chose pour ses pieds. Hélas pour lui, entre temps la pandémie de la COVID-19 est survenue avec pour conséquence la suspension de tout voyage international.
Bien que la Filariose Lymphatique (FL) chronique soit incurable, certains de ses effets peuvent être atténués. C’est ainsi qu’au Bénin depuis 2019, les interventions sanitaires ciblent les deux morbidités que présente Tabe : l'hydrocèle (l’accumulation de liquide dans le scrotum) et le lymphœdème (l’augmentation du volume de la jambe par accumulation du liquide lymphatique) Ces interventions, communément désignées sous le terme de « Prise en Charge de la Morbidité et Prévention des Incapacités » (PCMPI), consistent en un premier temps à procéder au recensement des personnes atteintes de ces deux complications de la FL, y compris leur répartition géographique. Grâce à cette analyse du paysage, le gouvernement du Bénin et ses partenaires peuvent s'assurer que la prise en charge chirurgicale est disponible pour soulager les patients porteurs d'hydrocèle et aussi former ceux qui ont été touchés par le lymphœdème au paquet de soins auto-administrés portant essentiellement sur le lavage des pieds pour éviter les crises douloureuses. Par ailleurs, depuis 2021, le programme Act | West de l'USAID a fourni un appui technique et financier au Programme National de Lutte contre les Maladies Transmissibles (PNLMT) / Ministère de la Santé pour inclure des modules de formation en PCMPI dans les curicula de formation des écoles d'infirmier/es et de médecine. Aussi, au cours de l’année fiscale de 2024 à venir, Act | West fournira une assistance technique au PNLMT pour estimer le nombre de personnes atteintes des complications liées à la FL et assurer la prise en charge des cas de lymphœdèmes identifiés au sein de 28 communes au Bénin.
La réussite de l’opération a donné à Tabe un peu d’espoir.

« Après la réussite de l’opération sur mon scrotum, je rayonnais d’espoir me disant qu’enfin j’avais peut-être une chance d’être soulagé de cette maudite maladie. Mais malheureusement pour moi, la crise sanitaire de la COVID-19 est survenue, » dit Tabe. « J’étais complètement abattu. Je me suis dit que c’est mieux pour moi de me faire à l’évidence que je vivrai avec ce mal jusqu’à ma mort. »
« Après la réussite de l’opération sur mon scrotum, je rayonnais d’espoir me disant qu’enfin j’avais peut-être une chance d’être soulagé de cette maudite maladie. Mais malheureusement pour moi, la crise sanitaire de la COVID-19 est survenue, » dit Tabe. « J’étais complètement abattu. Je me suis dit que c’est mieux pour moi de me faire à l’évidence que je vivrai avec ce mal jusqu’à ma mort. »
Actuellement, l’infirmière responsable du Centre de Santé Communal de N’dali prodigue à Tabe des conseils sur comment prendre efficacement soin de ses pieds à domicile pour prévenir les crises douloureuses.
« Depuis que j’applique les conseils d’hygiène du Major et m’efforce de réaliser quelques exercices, j’ai moins de douleur mais je voudrais de tout mon cœur pouvoir un jour me passer de mon déambulateur. Ceci pourrait changer le regard des gens sur moi, mais pour cela je dois encore patienter, » dit Tabe.
Aujourd’hui, à 30 ans, Tabe est toujours célibataire sans enfant. Bien que la FL ne soit pas contagieuse, toutes les femmes qu’il approche le fuient pensant à tort qu’elles peuvent être contaminées par sa maladie ou avoir des enfants qui naitront malades. Sa vie se résume à la même routine quotidienne : se lever le matin, marcher difficilement pour rejoindre son stand de vente de produits pétroliers frelatés situé en bordure de la grande route qui traverse la ville de N’dali en direction du Niger. Il exerce cette activité depuis environ cinq ans pour subvenir à ses besoins et ne plus dépendre de l’aumône.
Bien qu’il exerce une activité prohibée, Tabe croit que les autorités sont clémentes avec lui vu son handicap.
Par ailleurs, il dit que la campagne de distribution de l’Ivermectine est un moment qu’il apprécie particulièrement car les distributeurs communautaires lui font très souvent appel pour qu’il aide à convaincre quelques personnes réticentes.
Comme il lui est difficile de se déplacer, il les reçoit à son stand et prend du plaisir à leur expliquer l’importance de la prise des médicaments distribués gratuitement lors des traitements de masse pour lutter contre les maladies tropicales négligées.
« J’apprécie beaucoup quand je suis sollicité pour expliquer aux gens les bienfaits de l’Ivermectine. Je n’hésite pas à leur montrer mon pied en exemple, » dit-il avec satisfaction. « Quand les distributeurs communautaires me font appel, je me sens utile à ma communauté et cela me rend fier. Ma devise c’est « Plus jamais un Adamou gros pieds à N’dali.’ »
Même si le fardeau de Tabe est lourd à porter, il a su remplir son cœur d’un océan de patience et de bienveillance en attendant un miracle comme il le dit.

« Je suis encore jeune et la médecine progresse très vite, je compte sur vous qui êtes en contact avec l’extérieur pour m’informer à temps pour que je puisse bénéficier de ces nouvelles avancées, » dit-il avec un large sourire.
Alors que Tabe attend le progrès médical, les interventions de PCMPI conduites par le PNLMT du Bénin contribuent à soulager Tabe et d’autres comme lui qui souffrent des complications invalidantes de la filariose lymphatique.
Face à la FL, la prévention est le moyen de lutte le plus sûr grâce à l’administration de l’Ivermectine couplé à l’Albendazole pendant les traitements de masse. En ce qui concerne ses complications, lorsqu'elles sont diagnostiquées tôt, elles peuvent être considérablement atténuées par les interventions de PCMPI. Depuis 2012, l'USAID a fourni un soutien technique et financier au Bénin à travers les programmes ENVISION et Act | West, qui ont appuyé l’organisation des traitements de masse contre la filariose lymphatique pour réduire la transmission de la maladie. Progressivement, le soutien de l'USAID s'est étendu à une analyse du paysage de la PCMPI réalisée en juillet 2020 qui avait comme objectif à terme, d’élaborer un plan de réponse stratégique axé sur l'amélioration des interventions destinées aux personnes, comme Tabe, qui sont touchées par les complications invalidantes de la FL. Enfin, en 2021, Act | West/USAID a également soutenu le recrutement d’un consultant pour rédiger le premier draft du dossier d'élimination de la filariose lymphatique, un document qui vise à fournir à l’OMS des données probantes du parcours du Bénin sur le chemin de l’élimination de cette terrible maladie.